J’inaugure ici une « série » sur les financements (et donc les politiques publiques) qui visent expressément les situations locales d’extrême pauvreté que connaissent surtout les roms en Roumanie. Donc je vais m’intéresser aux financements européens pour l’inclusion des roms. Je souhaite cette série très concrète, moins comme un recueil exhaustif de ce qui existe ou explicatif de mécanismes vraiment très complexes, mais plutôt en partant de la réalité et de situations précises (à partir d’un appel à projet, d’un bilan d’une mise en oeuvre, d’un rapport ministériel, d’une situation précise sur le terrain, etc.) Dans ce billet, je tente un tour d’horizon, au plus simple, des financements fléchés pour l’intégration des roms.
Mais que fait l’Europe ?
On a l’habitude de dire qu’il existe des « fonds européens » pour l’intégration des roms en Roumanie et de penser que c’est une solution sous-utilisée au problème à priori posé par les roms roumains « migrants » pauvres.
> « Où vont les millions de l’aide européenne? », un article du Monde du 13/08/2010 cité par VoxEurope
> « Il y a des fonds européens pour les roms, utilisons-les! », Le Monde, 14/08/2012, par Arno Klarsfeld
> « Où sont passés les 50 milliards pour les roms? », Libération, le 14/10/2013
Par ailleurs, dans mon travail à Tinca en Roumanie, je me trouve dans la situation d’accompagner une équipe qui tente de mettre en place des actions (et donc chercher des financements) pour soutenir l’insertion sociale dans un quartier pauvre à majorité rom.
Donc je propose dans cette série de confronter assez simplement ce qui existe « théoriquement » en terme de « financements européens » et de l’autre la situation sur le terrain où pourrait « arriver » ces financements. Je voudrais aussi avoir l’occasion de parler de projets effectivement mis en oeuvre en regardant ce que ça donne… Je me concentre uniquement sur les financements de l’action sociale pour l’inclusion des roms, je mets volontairement de côté les financements pour des actions culturelles ou pour l’éducation et les échanges étudiants.
> Une page de la Direction Générale « Justice » de la Commission européenne est consacrée aux fonds pour l’inclusion des roms.
L’horizon des fonds depuis le terrain
Pour faire vite et simple, il existe des financements « directs » et des financements « indirects »: les premiers sont accordés directement aux opérateurs (ONG, assos, consortiums d’acteurs divers sur le terrain, etc.) par la Commission européenne pour l’essentiel; les seconds sont gérés par les Etats, les fonds (« fonds structurels ») proviennent bien de l’Europe mais sont redistribués par l’Etat en question aux acteurs de terrain.
De ce que j’ai pu observer à ce jour, il y a pour l’essentiel des programmes de financement du Fond Social Européen (FSE, l’un des 3 fonds structurels européens). En Roumanie, un programme du FSE en particulier va retenir notre attention: le POCU (traduit du roumain, ça peut donner « Programme Opérationnel pour le Capital Humain »), anciennement le POSDRU (traduction possible: « Programme Opérationnel Sectoriel pour le Développement des Ressources Humaines »), j’y reviendrais.
> La page du ministère roumain des fonds européens consacrée au POCU;
> La page du même site consacrée au POSDRU.
Ce programme comporte un axe (une ligne de financement adossée à des objectifs spécifiques) tout particulièrement pour l’inclusion des roms, axe qui a d’ailleurs évolué dans le temps (un temps court à l’échelle européenne, puisque la Roumanie n’est entrée dans l’Union qu’en 2007 et ne s’est exercée à la distribution des fonds que depuis une seule première période de « programmation » – période de vie des fonds de 6 ans – et organise déjà avec retard la deuxième programmation 2014-2020…)
Cet axe en particulier, comme aussi d’autres axes pour l’éducation ou l’emploi, est très regardé et attendu par les opérateurs sur le terrain. Même s’ils ont été sous-utilisés au moins durant la première programmation (cf. le diagramme ci-dessous), ces fonds ont jusqu’à aujourd’hui été à l’origine des principales actions (plus ou moins réussies) pour l’intégration localement des roms en Roumanie (entre autre, puisque le POSDRU intervient sur un très grand nombre de problématiques).
Il y a aussi deux appels à projet qui sont généralement très attendus sur le terrain et représentent aujourd’hui deux financements directs pour les ONG: un appel de la Direction Générale « Justice » (DG Justice) de la Commission européenne pour soutenir la lutte contre les discriminations, notamment des roms issu du programme « Rights, equality and citizenship« ; un appel issu de l’Espace Economique Européen et des pays qui ne sont pas membre de l’UE (Norvège, Islande, Lichtenchtein) géré par la Commission européenne via un opérateur local roumain pour soutenir des actions pour l’intégration des roms (en anglais, on parle de EEA Grants and Norway Grants). Là, ces possibilités de financement agissent très différemment par rapport aux financements du FSE par exemple. Ils sont ponctuels (projets de quelques mois à une, voire deux années) et ne visent pas à pérenniser des dispositifs, les sommes sont moins importantes, etc.
> L’appel à projet de la DG Justice de la Commission européenne est intitulé « Support national or transnational projects on non-discrimination and Roma integration«
> L’axe de financement des fonds EEA and Norway grantspour l’inclusion des roms en particulier: « Local Development, Poverty Reduction and Roma Inclusion«
J’hésite enfin à parler du programme « Romact » conjoint à la Direction Générale « Affaires sociales » de la Commission européenne et au Conseil de l’Europe. Il finance des « échanges et visites » entre organisations et collectivités européennes (plutôt du genre collectivités de l’ouest intéressées par la situation à l’est) et des formations de médiateurs roms ou des agents de collectivités locales. Ce programme est moins attendu (d’autant qu’il est plutôt en direction des collectivités locales) mais il reste connu dans ce petit panel.
> Le site du programme Romact.
Ni pléthoriques, ni miraculeux
Donc il n’y a pas pléthore de lignes financières dédiées directement à l’inclusion des roms en Roumanie. Ce n’est pas rien non plus, mais ce qu’on entend par « fonds européens » pour l’inclusion des roms comme un vaste mais illisible ensemble de possibilités de financer des actions qu’on espère souvent très concrètes n’est pas tant une nébuleuse miraculeuse que ça. En vérité, l’essentiel des fonds ne sont pas directement fléchés « pour l’inclusion des roms » mais bien plus transversaux, ce qui oblige à ce que les politiques publiques qui dirigent leur utilisation soient très appliquées à régler largement les problèmes des inégalités sociales, ce qui, en Roumanie, n’est pas forcément très évident…
Ce qui fait qu’on mon sens ces financements européens pour l’inclusion des roms en Roumanie sont ni pléthoriques, ni miraculeux, c’est je crois leur caractère spécifique, pointu, financements « de niche » et tout à la fois l’extrême contrainte de leurs exigences techniques et sans doute le décalage intrinsèque d’un outil de financement à la problématique réelle qu’il traite, le tout passé à la moulinette des orientations des politiques publiques et les mises en œuvres plus ou moins consciencieuses des opérateurs.